Salsa with S

Ecole de danse

SPIRALE DES SENS

MUSIQUE !

Texte de Sylvie Germain

Et un feu aussitôt s’allume dans l’oreille, irradie à travers tout le corps. On se dresse, mû par ce feu déhiscent, on va droit vers l’autre, on le provoque en duel : on l’invite à danser. Peu importe qu’on ne le connaisse pas, qu’on ne l’ait même jamais vu jusqu’à cet instant, ce partenaire soudain choisi. Pas besoin de paroles, le corps et le regard suffisent pour lancer cette invitation. Le corps, innervé de musique, saturé de désir, s’érige en verbe, en dire, en force souple. Et le regard, lui, se permet d’exprimer ce que la bouche n’oserait pas prononcer, ne saurait même pas formuler : ce doux élan de volupté, cette folle envie de chalouper, de tourner, ce m’lange de gravité et de vivacité, de sérieux et de jubilation. Le regard darde son désir dans le regard de l’autre en un défi courtois, il s’y mesure, s’y avive, il s’y enjoue. Sitôt que le défi est relevé, la danse commence. C’est une lutte rituelle, au corps à corps. Les mains s’élancent à l’assaut du corps du partenaire, mais avec retenue, élégance. Elles ne se posent que fugacement, ici ou là, elles glissent, tournoient, se meuvent sans cesse ; par instants elles saisissent un petit pan du vêtement, et de la chair de l’autre, et le serrent avec autant d’audace qu’lles sont dans la hâte, dans l’urgence- leur course est dictée par le rythme de la danse.Mais parfois la musique s’alentit, s’alanguit, se grise de douceur, alors les mains s’apaisent, et délicatement s’alourdissent ; elles pèsent d’un poids très tendre, et tiède, sur l’épale, les reins, le bras, les hanches ou la nuque. Et les genoux, aussi, et les cuisses, et les ventres, poitrines se touchent, par effleurements furtifs ou par pression plus vives.

MUSIQUE ! Que tous les sens exultent dans la danse !Les corps dénudés s’accordent, peu à peu ils improvisent un dialogue gestuel, la lutte tout à la fois s’attise et se pare de nuances ; tous les sens sont requis, et entrent en résonance. Le regard se fait tactile : on se touche, on se frôle, on se heurte, on s’étreint ou s’enlace, selon, du bout des yeux, du fond des yeux. On se caresse au feu des yeux.Un autre sens se met à l’unisson : à l’ouïe. La danse n’exalte pas seulement les membres, le torse, les reins, la gorge et la nuque, tous les muscles,  et les nerfs, et les yeux, elle embrase également le souffle qui devient sonore, mi-rugueux mi-velouté, mi-rauque mi-sifflant, et brûlant comme un vent d’été. Le souffle épouse le rythme de la danse, de la musique, il s’ensauvage exquisément, et il se fait tangible. Chacun des danseurs peut entendre le souffle de l’autre, intimement, et en toucher le grain.L’odorat aussi entre en jeu. La peau exsude de l’au ignée, la sueur es une sève, et elle est odorante. Chacun sent l’odeur de l’autre, et se sentir est encore une façon de se toucher, de palper en finesse la chair efflorescente.

MUSIQUE ! Métamorphose, anamorphose des corps.Le duo de danseurs s’élargit en trio, on danse avec les sons, avec leur corps fluide, labile, autant qu’avec son partenaire. On danse avec la vigueur éclose du fond de sa propre chair sous la pression du rythme, on danse avec une part inconnue de soi-même, faite de grâce et d’effronterie, de gourmandise, de gout du jeu et de pure énergie. Parfois, on danse ainsi jusqu’à l’épuisement, jusqu’au bout de ses forces, jusqu’à l’évidement.Et quand la musique cesse, qui portait cet élan, qui soufflait sur celant entre soi et l’oubli de soi-même, entre éblouissement et torpeur. Lentement le feu s’éteint au creux de l’ouïe, un silence confus se répand en frissons sous la peau, la fatigue happe le corps, mais un peu de jouissance encore s’attarde, enveloppant le corps de fine ivresse, comme d’une soir de fièvre.Peut-être ne reverra-t-on jamais le partenaire avec lequel on a dansé. Qu’importe, chacun emporte de l’autre, gravée très secrètement à fleur de peau, la signature de sa rencontre-signature invisible, et néanmoins sensible.La danse écrit nos corps, d’une écriture aussi vivace que l’amour.